samedi 25 juin 2016

133 - "La Vie (presque) vraie de l'abbé Lambert" de Abdelkader Djemaï







Un Clochemerle à la sauce oranaise...



Gabriel Irénée Séraphin (ça ne s'invente pas un prénom pareil pour un curé !!!)  est un prêtre né en France à Villefranche sur Mer en 1900.


L'abbé Lambert : un "Tintin" de sacristie...


Il est très intelligent, bourré de talent et il se fait connaître comme sourcier. Comme il est docteur en théologie et en philosophie, il est beau parleur, sait à la perfection manipuler le monde et il s'en sert pour faire sa promotion. Il publie aussi plusieurs ouvrages. Son livre "Le mystère du sourcier" connaît un grand succès de librairie.



Le maire d'ORAN ayant eu vent de ses talents et désireux de porter un grand coup pour se faire réélire, le fait venir pour trouver de l'eau douce, car les quelques 160.000 âmes oranaises doivent se contenter d'eau salée... et commencent sérieusement à se rebiffer !





Il lui signe un contrat de 2 millions de francs...

L'abbé LAMBERT débarque donc à ORAN avec sa superbe maîtresse Carla PRADINI (de 16 ans plus âgée que lui !) et s'installe dans le plus bel hôtel d'ORAN : l'hôtel ALETI.







Et, armé de tous les culots, il réussit à se faire élire calife à la place du calife !!!

(extrait)
Au cours de ces meetings souvent tumultueux, la soutane en guise de peignoir, Lambert, qui portait mal l'un de ses trois prénoms, Séraphin, fendait la foule, comme un superbe boxeur. Sous les ovations et les vivats, il montait prestement sur la scène et levait les bras au ciel, d'où le Christ et son apôtre Saint Jean le regardaient, les yeux écarquillés."


 Son slogan : "Pour tous et contre personne".
Il sera le 33ème maire d'ORAN de 1936 à 1941...







L'auteur ABDELKADER DJEMAI est né à ORAN. C'est dire qu'il sait de quoi il parle et il le fait très bien. J'ai adoré son style, enlevé, rythmé, vivant. Il semble s'amuser à faire vivre ce "Tintin de sacristie" sans jamais le juger au milieu des populations espagnoles (majoritaires à ORAN) et de la population algérienne. Ce roman original dans sa vision de l’histoire s’avère instructif car l'auteur, à travers le parcours de l'abbé Lambert nous raconte tout le contexte ô combien passionnant de l'époque.

Son livre est un vrai régal !!! A lire absolument...







Né à Oran en 1948 Abdelkader Djemaï est l’auteur de plusieurs écrits récompensés par des prix littéraires. Il anime régulièrement des ateliers d’écriture, en France et à l’étranger, dans différents établissements scolaires, dans des médiathèques et en milieu associatif ou carcéral. Son œuvre est prolifique et son talent reconnu par la critique, notamment avec Camping (Seuil, 2002) pour lequel il a reçu le prix Amerigo-Vespucci. On lui doit également Nez sur la vitre (2004), Gare du Nord (2009), Zorah sur la terrasse (2010), et La Dernière nuit de l’Emir (2011), tous parus aux Éditions du Seuil.

mardi 14 juin 2016

132 - "La vérité à propos d'Alice" de Katherine Webb






Une intrigue subtile et complexe...


Si vous aimez les secrets de famille,
les histoires sombres et complexes
les multiples rebondissements
les révélations qui laissent pantois...
Alors "La vérité à propos d'Alice" est fait pour vous !

C'est un bon gros roman de quelques 670 pages qui nous tient en haleine de bout en bout. Le lecteur est ferré comme un poisson dès le premier chapitre.

L'histoire se déroule en Angleterre dans les débuts du 19ème siècle.
En épousant Richard, un marchand de vin, beau mais sacrément stupide,  Rachel Crofton, une gouvernante croit, à presque 29 ans,  échapper à un destin médiocre.
Hélas pour elle, le commerçant affable est un homme égoïste, colérique et violent dont les affaires ne sont pas aussi brillantes qu'il voulait bien le dire...
Pour s'évader de cette triste réalité, Rachel accepte la proposition de la froide Lady Alleyn de lui faire rencontrer son fils malade afin de le distraire en lui faisant la lecture.  Le jeune homme a été profondément marqué par les horreurs de la guerre d'Espagne dont il est revenu blessé.






Dès sa première visite, Rachel est confrontée au comportement ingérable du jeune Jonathan qui ne se remet pas de la disparition d'Alice, la femme qu'il aimait.
Pourquoi réagit-il aussi vivement en voyant Rachel ?
Qui était Alice, sa fiancée disparue et à qui Rachel ressemble si fortement ?
Décidée à percer ce secret, Rachel n'aura de cesse de découvrir la vérité à propos d'Alice...






Le travail littéraire de Katherine Webb repose sur une solide documentation et son écriture est avant tout le produit d'un style unique, très travaillé, parfaitement maîtrisé.

Elle nous livre le portrait de quatre femmes bien différentes :
- tout d'abord celui de la fameuse Alice, une jeune femme si pure, si généreuse, si sincère que tout le monde souhaiterait lui ressembler.
- puis celui de Starling, sa sœur adoptive, une personnalité sauvage très forte
- ensuite vient Rachel, un peu naïve et très introvertie
- enfin la froide Lady Alleyn à la fois victime et bourreau


Extrait (page 40)
Rachel inspira l'odeur humide de la rivière, les effluves douceâtres des ordures dans le caniveau, l'arôme du pain frais et de la viande rôtie, les vapeurs de bière et de fumée de tabac qui se dégageait de la taverne. Un mélange de senteurs dont elle avait perdu l'habitude dans le calme stérile de Hartford Hall.

C'est peu de dire que j'apprécie l'écriture de Katherine Webb. Je lui trouve un talent fou !



Idéal pour l'été, ce bon gros roman vous procurera des heures de lecture passionnantes !







Née en 1977, Katherine Webb a étudié l’histoire à l’université de Durham.
Après avoir vécu à Londres et à Venise et occupé des emplois aussi divers que serveuse, jeune fille au pair, aide bibliothécaire, relieuse et femme de chambre, elle vit aujourd’hui dans la campagne du Berkshire.
L’Héritage (Belfond, 2011), son premier roman, a été un best-seller en Angleterre et finaliste du prestigieux Galaxy Award. Ses trois autres ouvrages, Pressentiments (2013),À la claire rivière
(2014) et La Vérité à propos d’Alice (2015), ont paru chez le même éditeur.

Vous pouvez voir sur "Cœur d'encre et de papier" mes critiques à propos de ses autres livres que j'ai tous lus...






mardi 7 juin 2016

131 - "Les couleurs de nos souvenirs" de Michel Pastoureau







Les souvenirs colorés de Michel Pastoureau... Savant et jubilatoire !

Michel Pastoureau prend comme prétexte "la couleur" sa grande spécialité pour nous dévoiler quelques brides de sa vie sur une cinquantaine d'années.

On apprend que quand il était adolescent,  il voulait un vélo vert et non jaune. Qu'il préférait les bonbons oranges à la mandarine (soi-disant...) qu'il achetait dans un distributeur sur un quai de métro parisien. Que son premier blazer n'était pas du « bon » bleu marine, ni de la bonne coupe (il était déjà "dodu" !!!).



Quand on a le même âge que lui, ce qui est mon cas, ses souvenirs nous touchent.

Michel Pastoureau truffe donc ses histoires personnelles de considérations historiques ou sociologiques, qui rendent la lecture intéressante et on est sidéré de tant d'érudition.

Il n'hésite pas à se dévoiler avec beaucoup d'autodérision, sur sa timidité, sur sa corpulence, sur ses amitiés.  Bien sûr, l'analyse historique prend souvent le pas sur l'anecdote, c'est bien normal, il est historien avant tout. Il aime partir d'un fait isolé, d'un souvenir, pour en étudier la symbolique, la cohérence, l'inconscient qui se cache derrière.

Michel Pastoureau a été sensible tout jeune aux couleurs. Trois de ses grands oncles du côté de sa mère étaient peintres.  Dont un certain Marcel Jean qui lui permettait d'emporter ses tubes de peinture à l'huile usagés. Il n'avait pas encore 10 ans, mais classer les couleurs était déjà chez lui un plaisir récurrent.

Peinture de Marcel Jean 1900 - 1993

Ses parents très bohèmes pratiquaient « l'amour de la peinture » et fréquentaient les artistes surtout surréalistes. La pharmacie de sa mère avec ses codes de couleurs n'a pas manqué d'aiguiser également son goût des couleurs.

Au fil des années, c'est dans ces deux "laboratoires chromatiques" : l'atelier de Marcel Jean et la pharmacie de sa mère qu'il s'est progressivement fabriqué un certain nombre de principes personnels concernant les couleurs.

Au fil de son récit, on découvre l'histoire du "bleu" des jeans et par là même l'histoire de Lévi Strauss.





On se souvient avec lui du "beige (hideux) de Mitterrand" !

Et on sourit à l'évocation de la mode des repas monochromes ...




... Je remercie Patrick qui m'a offert ce livre et fait découvrir cet auteur passionnant...













Michel Pastoureau
Il est né en 1947. Il a publié notamment au Seuil, dans « La Librairie du XXIe siècle » : L’Étoffe du diable (1991), Une histoire symbolique du Moyen-Âge occidental (2004) et L’Ours. Histoire d’un roi déchu (2007). Son autobiographie Les Couleurs de nos souvenirs a reçu le prix Médicis Essai en 2010.

Il est professeur à la Sorbonne et à l’école pratique des Hautes Etudes où il est titulaire de la chaire d’Histoire de la symbolique occidentale.

 Historien de la symbolique occidentale mondialement connu pour ses travaux sur l’histoire des couleurs en Occident, il a également publié une dizaine d’ouvrages sur les significations de l’héraldique, sur les blasons et les armoiries.